Mon travail avec les enfants m’oblige à me dépasser et à redevenir moi-même un enfant, que ce soit pour imiter un tigre sauvage, une vieille sorcière ou simplement pour jouer à chat ensemble.
Mais il y a des moments où je n’y arrive pas, soit parce que je me laisse prendre par d’autres tâches – nombreuses – ou soit parce que je suis dépassé par le jeu et la liberté que prennent les enfants, et alors, je ne me sens plus bien dans ma peau. Parfois, la seule chose à faire est de se jeter à l’eau. Ou simplement de se laisser éclabousser par l’eau, rafraîchissante. 

Comme j’apprécie le rite baptismal de Pâques ! Des adultes, des personnes sérieuses « sont jetées à l’eau », ou plutôt aspergées d’eau. Un acte presque scandaleux pour nous, adultes. Dans quelle situation de la vie quotidienne nous éclabousse-t-on ainsi ? En fait, cela ne nous arrive que dans l’enfance et l’adolescence. Aussi inapproprié que paraisse ce geste du prêtre à Pâques, il peut être libérateur. 

L’année dernière, la fête de Pâques est justement tombée à l’eau pour moi – du moins sur le plan liturgique. Mon travail avec les enfants m’a mis au défi plus souvent que je ne l’aurais voulu, et bien sûr, toutes les petites et grandes blessures de mon être continuaient à se manifester en moi. Comme si cela ne suffisait pas, le premier confinement est arrivé et il a fallu faire face à cette « sécheresse » provoquée par la pandémie.

Mais la nuit fait place à l’aurore. Après une longue absence, j’ai pu de nouveau faire une visite à Groß Sankt Martin de Cologne. Mon carême a été suivi par Pâques 2021 ; et la sécheresse a été suivie par un jaillissement d’eau.

La puissance de l’eau surprend lorsque le prêtre nous en asperge. Nous sommes un peu perplexes car une voix intérieure nous dit que le comportement du célébrant est inapproprié. Et malgré tout, cette eau fait appel à quelque chose en nous : un retour à l’enfance, à un moment particulier ou encore à une joie… Je ne peux pas m’en empêcher : je dois rire. Je dois rire du fait que nous, adultes croyants, laissons cela nous arriver, je dois rire de l’eau fraîche que je sens sur ma peau, et je dois rire parce que je me souviens que je suis appelé à la vie !

Mais la particularité de l’eau de la veillée pascale est qu’il s’agit d’une eau bénie. Elle est destinée à m’apporter le salut. Dans le livre du prophète Ézéchiel, il est dit : « Cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre, et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent. » (Ez 47, 9). Dans un autre verset, il est même question des eaux salées de la mer assainies par ce fleuve (cf. Ez 47, 8). Le rite baptismal est destiné à nous rappeler que Pâques et notre foi chrétienne sont synonymes de salut et de joie. 

Au moment où j’écris ces lignes, de nombreux « MAIS » s’élèvent en moi. Mais qu’en est-il de toutes mes blessures ? Mais qu’en est-il de toutes mes obligations ? Mais qu’en est-il de mes peines ? Ça ne peut pas être aussi simple !

Naaman a pensé la même chose lorsque le prophète Élisée lui a dit de se laver dans le Jourdain pour être purifié de sa lèpre. Il s’est dit que ça ne pouvait pas être si facile, que ça devait être plus difficile. Et il avait raison – c’était plus difficile, dans le sens où Naaman devait prendre une décision. La décision de faire confiance à la promesse de guérison et au Dieu Vivant. « Alors sa chair redevint semblable à celle d’un petit enfant : il était purifié » (2 R 5, 14). Il a pris la décision : il a suivi la voie de la confiance et a été récompensé par la guérison. Puis, il n’a pas pu s’en empêcher – sa joie était trop grande – il a voulu, pour exprimer sa gratitude, offrir un cadeau.

J’espère que je m’approche résolument de cette décision : apprendre à choisir de faire confiance à Dieu, à choisir la joie, à choisir la vie. Pour que l’eau vive coule en moi aussi et que je sois envahi par ce rire. 

Rire de ce geste « inapproprié » de nos prêtres à Pâques et de notre Père céleste qui a en tête le salut pour nous et non le malheur. 

Garder ce rire dans ma vie quotidienne et, dans mes rencontres avec les gens qui m’entourent, le partager – en ce moment tout particulièrement – voilà qui devrait être le cadeau qui exprime ma gratitude personnelle.

Bastian Matutis
Bastian est assistant social, travaille avec des enfants du primaire
et est un ami des Fraternités de Cologne.