J’ai eu la grâce et la joie d’accompagner un groupe d’une douzaine de jeunes pour une méharée au Sahara, du 26 décembre 1985 au 4 janvier 1986.

Nous étions guidés par trois Touaregs qui avaient fière allure, avec leur gandoura bleu pétrole et leur turban blanc qui entourait leur beau visage basané. Douze chameaux formaient, avec nous, la caravane. Nous marchions à pied, à peu près 25 kilomètres par jour et nous dormions à la belle étoile.

De temps en temps, nous montions sur les chameaux pour quelque temps, ce qui était d’ailleurs très inconfortable. Ils servaient avant tout à porter les vivres, pour cette dizaine de jours à travers le désert.

Au Sahara, à cette latitude, on vit en 24 heures, les quatre saisons. La nuit, c’est l’hiver, un froid glacial, avec des températures en-dessous de zéro. Avec des duvets haute montagne et enveloppés dans des couvertures de survie, nous nous endormions très bien, sous les étoiles qui semblaient si proches, dans ce ciel si pur. Au petit matin, c’est la froidure du printemps. J’observais. Tous les jours, le premier levé était un certain Antoine (notre frère Antoine-Emmanuel) qui allumait un feu avec les brindilles ramassées pendant la marche et faisait chauffer de l’eau pour le petit déjeuner. Je me disais dans mon for interne, celui-là, c’est un garçon courageux et un généreux, il ferait un bon moine ! À midi, c’est la canicule de l’été et vers cinq heures, l’automne qui annonce le retour de l’hiver.

Cette méharée était un pèlerinage que nous avions commencé à Tamanrasset, à la découverte de Charles de Foucauld. Afin de s’établir au milieu des populations les plus pauvres, frère Charles fit construire sa fameuse « Frégate », ermitage en dur, en forme de boyau, de six mètres de long sur deux mètres de large, comprenant une chapelle et une sacristie. Il vivait à côté, dans une hutte de paille.

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Au centre de Tamanrasset, un autre souvenir marquant de frère Charles est « le Bordj », fortin imposant, construit par les autorités militaires françaises, pour protéger « le marabout » contre les rebelles sénoussistes qui commençaient à s’opposer à l’occupation coloniale. En juin 1916, il s’y installa. Le 1er décembre de la même année, il fut assassiné par des membres de cette secte sénoussiste.

Durant la marche, nous suivions un tracé spirituel : l’appel du désert et l’invitation au dépouillement ; la marche au désert, lieu du combat ; la voix du désert avec saint Jean Baptiste ; puis déjà la Passion de Jésus durant la dernière ascension à 3000 mètres d’altitude ; la Résurrection au sommet de l’Assekrem ; et pendant la marche du retour, Marie, Reine de la paix, la Pentecôte, l’Église et l’envoi en mission. Les jeunes lisaient les textes bibliques et je faisais de petits enseignements en tant que ‘marabouillette’ (c’est ainsi que les jeunes m’appelaient).

Mon plus beau souvenir est le temps que j’ai passé toute seule dans l’oratoire de Bethléem, l’ermitage construit par frère Pierre-Marie, à une heure de marche de celui de Charles de Foucauld. Il est formé d’une pièce adossée à l’oratoire. Les pentes inversées du toit évoquent les ailes de la colombe de l’Esprit Saint.  J’avais envoyé les jeunes faire le tour du plateau et je suis restée là, deux heures à prier. Je savais que c’était là que Jérusalem était né et je rendais grâce à Dieu.

« Il faut passer par le désert… C’est là qu’on se vide, qu’on chasse de soi tout ce qui n’est pas Dieu et qu’on vide complètement cette petite maison de notre âme pour laisser toute la place à Dieu seul » (frère Charles de Foucaud, Lettre au Père Jérôme, 1898).

Sœur Catherine (Fraternité de Paris)