La Ville est là, notamment avec son poids numérique, ses questions infinies, ses merveilles, ses laideurs, ses appels. Elle est là, forte de sa sainteté et pauvre de son péché. C’est au cœur de cette Jérusalem actuelle qu’il faut reconstruire inlassablement le Temple Nouveau du corps du Christ. Y contempler son visage pour le lui révéler, contempler avec le peuple tout entier ce visage, pour ensemble le louer. Par une présence concrète plantée au cœur de la ville, la pousser, avec la force du silence à l’action de grâce. Au centre de ces mutations, de ces drames, de ces aliénations, de toutes ces entreprises, dans le quotidien de la famille, de la profession, de la rue, il faut des témoins de l’Invisible et des rappels vivants de l’Absolu. La proximité plus que spirituelle, concrète et physique, de frères-moines.

            Insertion. Il faut être dans pour être avec. Faire soi-même l’expérience de sa propre conversion au milieu de la ville pour apprendre par là à chacun à s’accomplir, « en allant jusqu’à la pleine révélation de l’image de Dieu qui est en lui ». Ne pas y communier seulement d’une façon distante et intellectuelle mais de fait, à la suite de Jésus montant et remontant à Jérusalem. Y vivre pour comprendre et ainsi pouvoir aimer. Pour une recherche de Dieu seul, mais dans la solidarité avec l’homme. Pour une quête de Sa Présence dans les signes de ce temps, dans la marche et l’évolution de l’histoire et lui en rappeler ainsi le sens ultime et l’Espérance Dernière. Contemplatifs et solidaires. Té- moins sur le tas de la Parousie promise à tous en sorte de « Consécration religieuse » qui engage dans le service et la dépendance. Faisant nous-mêmes, et sans le fuir pour la campagne, l’expérience des difficultés, des aliénations, des luttes, des contraintes de ce Paris où vivent dix millions d’hommes, pour essayer d’y réaliser avec eux, à notre petite place mais réellement, « les signes précurseurs anticipant le Royaume ».

            Contestation. Car si la cité est « sainte » et doit le devenir, elle est aussi Babel et ne veut pas s’en départir. Au centre de cette « tour » il y a place pour quelque chose fait en commun de contestataire et de durable. Pour un « non » crié ensemble à ce à quoi l’on ne peut dire « oui ». Une manière d’être dans ce monde, qui ne soit pas de lui. En épousant avec charité mais avec force la contestation telle que la propose et la demande Jésus, lui qui « n’est pas venu porter la paix mais le glaive ». Pour qui soit brûlé sur la place en même temps qu’en chacun de nos cœurs le contraire de la Paix, la Joie, de l’Amour. « Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ». Ainsi, aider ce monde qui est nôtre à marcher vers la vraie Libération qu’Il apporte : la Vérité venue de Dieu. Et cela au nom du seul amour que lequel nous serons jugés. Dire par sa vie, le refus de Mammon, en rappelant à chacun l’urgence de ce « non ». À la suite des Pères qui allaient au désert « pour se battre contre le Diable », oser à son tour, poussés par le même Esprit, aller dans le désert de la ville moderne pour lutter contre ses mirages, sa petite soif insatiable, son anonymat, sa solitude. Pour mieux faire chanter sa beauté et ses valeurs. En louange de gloire.

 

Frère Pierre-Marie Delfieux, extrait de Moines dans la ville, octobre 1974