Pour illustrer la notion de « conversion écologique » évoquée par le pape François dans son encyclique Laudato Si’, je commence par évoquer mon service d’économe au sein de ma Fraternité. Durant notre « chapitre annuel des comptes », j’ai récemment invité mes sœurs à une réflexion quant à nos critères de discernement pour vivre notre vœu de pauvreté. Lorsqu’il y a un achat à faire suffit-il de considérer son prix ? Serait-il envisageable de remplacer la référence « ce n’est pas cher » par « c’est écologique » ? Car comme le rappelle Benoît XVI : « Acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral ». Serions-nous prêtes à dépenser un peu plus pour faire travailler l’économie locale, pour être solidaire des agriculteurs de la région et éviter les importations qui produisent énormément de pollution et détruisent la création ? Concrètement, sommes-nous libres de choisir des critères autres que financiers pour vivre notre vœu de pauvreté ? Dans ces questions se trouve la possibilité d’un réel changement d’habitudes, d’une authentique conversion dont l’enjeu est de sortir de soi, de son compte en banque, pour considérer l’impact de nos choix sur les autres et sur la création tout entière. Dans notre manière de penser et de décider, il s’agirait de passer du local et du court terme au global et au long terme. « Quand nous sommes capables de dépasser l’individualisme, un autre style de vie peut réellement se développer et un changement important devient possible dans la société » (LS 208). 

Mais que veut dire au juste « conversion écologique » ?

Cette expression, développée au chapitre 6 de Laudato Si’, évoque d’une part « la conversion », qui prend sa source dans la relation à Dieu vécue dans le cœur profond (ou l’esprit), et d’autre part « l’écologie », qui est la manifestation extérieure de notre relation à Dieu. Il y a là un enjeu de cohérence chrétienne : la mise en pratique de notre foi. Ainsi l’écologie n’est pas seulement un sujet d’étude, un enjeu politique ou un engagement idéologique ; elle est le lieu qui manifeste de manière très concrète notre relation au Dieu vivant. L’écologie intégrale et la conversion à laquelle elle appelle n’est donc pas un sujet périphérique ; elle est au centre de notre foi. Notre Credo n’évoque-t-il pas, dans son premier article, un Dieu Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible, auquel nous voulons adhérer comme des fils ? De manière lapidaire, l’encyclique affirme : « il n’y aura pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau.

Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate » (LS 117). La conversion écologique à laquelle nous sommes convoqués implique ainsi une nouvelle vision de l’homme qui tranche avec l’« anthropocentrisme moderne » qui nie la dimension sociale et transcendante de l’être humain et oublie ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité (LS 118-119). L’anthropologie intégrale développée dans Laudato Si’ affirme que la nature propre de l’homme s’épanouit lorsque la Vie de Dieu irrigue la personne humaine dans tout son être, jusque dans son corps. Cette anthropologie aussi prophétique qu’incarnée ouvre un grand champ de mission en Église. Comme nous pouvons abuser des ressources naturelles de la Création jusqu’à la défigurer, nous pouvons abuser du corps d’une personne jusqu’à l’abîmer à tout jamais.

La conversion écologique pointe dès lors deux principales dérives dans la manière de vivre notre vocation humaine et notre appel à la sainteté. Elles sont l’une et l’autre marquées par un déséquilibre entre la foi et la raison, entre la grâce et la nature. 

La première dérive surestime la vision de foi au détriment de la nature et de la raison. Comme chrétien, il est possible de mener une vie « hors sol » nourrie par une spiritualité désincarnée qui ne donne pas sa juste place à la dimension humaine de notre condition. Si nous sommes appelés à « participer à la vie bienheureuse de Dieu », c’est au titre de créatures limitées et contingentes. La deuxième dérive consiste à négliger les réalités de la foi au profit d’une logique exclusivement humaine. Comme chrétien, il est en effet aussi possible de mener une vie « hors ciel », de négliger la dignité qui est la nôtre, et d’oublier d’où nous venons et où nous allons. 

Comme contemplative au cœur des villes, ce qui me tient particulièrement à cœur aujourd’hui, c’est de poser un regard global sur notre monde et un regard intégral sur la personne humaine. Que serait un regard contemplatif s’il n’embrassait pas toutes les réalités du ciel et de la terre ?

Soeur Aurore de la fraternité de Strasbourg