Son prénom, on peut le recevoir ou même le proposer dans la vie religieuse. Ce n’était pas mon cas. Pour moi, le nom de Marie Madeleine, Maria Magdalena en allemand, est un nom non pas proposé mais imposé. Dans les années 70-80, dans les régions montagneuses et campagnardes de mon pays, un certain nombre de prêtres n’avaient peut-être pas encore entendu parler du Concile Vatican II, et refusaient les noms au goût trop “moderne“. Le nom que mes parents proposaient était connu surtout pour la mauvaise réputation et la renommée peu conseillable de certaines actrices et ballerines de l’époque. Du coup, sur mon attestation de baptême fut écrit le nom de baptême imposé par le curé aux goûts préconciliaires : Maria Magdalena ; et entre parenthèses le nom que je porte : Marlene.

Par la suite, pour une grande partie de ma vie, j’ai choisi de mettre entre parenthèses la première, parce que je ne la considérais guère. Je ne la connaissais pas et je ne connaissais pas non plus Jésus, Celui qu’elle suivait et cherchait, n’ayant pas grandi dans une famille pratiquante. C’est tard, à l’âge de 19-20 ans, après ma conversion, que ce nom de baptême a fait découvrir une nouveauté dans ma vie : Pâques, passage d’un amour nouveau et pourtant déjà connu, don gratuit d’une nouvelle et plus grande espérance. Amour fou, éternel et profond, qui m’appellera à Lui donner ma vie, et par Lui, avec Lui et en Lui, à la donner pour toute l’Eglise et le monde entier.

« Appelée dans son dos par son Dieu » (cf. Jn 20,16)

C’était une rencontre fulgurante, mais aussi un long chemin, car je venais de loin. Ce ne fut pas une rencontre en vis-à-vis, mais plutôt de dos. Son appel a retenti pendant plusieurs années dans mon dos, et je dois avouer que j’avais peur. Peur du changement, peur de perdre quelque chose, quelqu’un, peur du déracinement et de l’Inconnu. Durant les premières années de mon chemin de foi, Marie Madeleine était un peu comme une sage-femme, une amie et un modèle qui m’aidait beaucoup à rester, à persévérer, à ne fuir ni moi-même ni Celui que mon cœur aimait. Elle m’a enseigné que c’est possible de pleurer sans honte, de me pencher sans être humiliée ou écrasée,

de porter et supporter avec patience et tendresse l’expérience du deuil, du manque et du vide. Et enfin, elle m’est une précieuse maîtresse pour reconnaître les tournants dans ma vie – ceux qui m’ont obligée à faire une relecture, à prendre une décision, à réaliser une coupure ou rupture – et aussi ces doubles tournants qui ressemblent plus à des pas de danse vertigineuses, où l’on avance à l’aveugle, « dans la foi et non pas dans la claire vision » (2 Co 5). « Il faut suivre, nous laisser inventer, et épouser les pas de Ta providence » écrit Madeleine Delbrêl dans Le bal de l’obéissance.

Joie pascale qui lie, délie et relie

Parfois une seule conversion, un seul retour sur ses pas n’est pas suffisant. Il faut cette expérience gratuite d’un pardon plus grand de nos propres efforts. Car nous ne croyons pas à un Dieu au compte-gouttes, mais à la Vie divine qui veut nous inonder comme une cascade, selon la parole de Jésus révélée à sainte Catherine de Sienne : Fais-toi capacité, je me ferai torrent !  Un pardon, qui délie, relie et qui ouvre à la vraie joie de la fraternité, à un nouveau commencement toujours possible. C’est le message central de Pâques que nous annonce Marie Madeleine, elle, qui a annoncé la Vie à partir d’un sépulcre, lieu de mort. Son intercession nous aide à vivre nous aussi cette expérience : à l’heure des pleurs et de l’abandon, entendre Jésus Ressuscité qui nous appelle par notre nom, et avec le cœur plein de joie aller annoncer : J’ai vu le Seigneur ! A présent, je suis différent d’avant, je suis une autre personne. J’ai changé parce que j’ai vu le Seigneur. Et Dieu m’envoie pour porter cette joie, pour Le porter, Lui, le Christ Vivant, à tout le monde : Va trouver mes frères !

Sœur Marlene de la fraternité de Florence