Le 16 décembre dernier, je reçois au bureau ce message de ma collègue qui travaille à Manille :

“Hi Sr. Josepha, how are you ? Just wanted to message because there is a big typhoon here in the Philippines and I heard it has hit Siargao island quite hard. Thinking of Tristan and Leah.

Un typhon, encore un typhon, aux Philippines, sur Siargao… Mais les typhons qui foncent sur Siargao sont toujours détournés vers le Nord par un courant naturel ! J’appelle ma sœur qui travaille avec eux au projet associatif de bibliothèque pour enfants dont l’inauguration sera le 6 janvier. Des nouvelles de Tristan ? Tous se sont réfugiés loin de la mer dans les bâtiments en dur m’assure-t-elle. Ensemble nous découvrons que cette fois, un super typhon de catégorie 5 a frappé Siargao ! 

Les heures passent, les jours passent, puis finalement quelques listes de personnes saines et sauves tournent sur les réseaux sociaux grâce à des touristes ayant pu quitter l’île, et sur l’une de ces listes : le nom de notre frère ! Au téléphone, tous, même mon père, nous pleurons de soulagement et surtout de compassion pour ces gens si pauvres qui ont tout perdu, qui devront attendre des semaines avant que les secours ne leur arrivent avec l’eau potable, de la nourriture, des médicaments, du matériel de reconstruction. Quand pour la première fois il m’appelle, Tristan témoigne : “Oui c’est une dévastation, mais c’est surtout un miracle : quasiment aucun mort ni blessé grave ici alors que l’île est détruite. C’est grâce à la foi de ce peuple !”

Dans la Section Migrants et Réfugiés où je travaille depuis presque cinq ans, nous avons étudié pendant un an la problématique croissante des déplacés climatiques à l’écoute des Eglises locales, des organisations catholiques internationales, d’experts et des congrégations religieuses engagés sur cette thématique urgente. Le fruit de ce travail fut la publication d’Orientations Pastorales adressées aux Églises locales, régionales et continentales. La crise climatique devient maintenant la première cause de déplacements forcés et de conflits armés dans le monde. Si beaucoup pensent encore qu’elle n’est qu’un risque ou qu’une exagération, je savais quant à moi bien avant le typhon Odette qu’elle est une réalité présente car les réfugiés climatiques en sont le visage humain. 

Les familles de Siargao choisiront de rester, de reconstruire au même endroit, sachant parfaitement que leur pays est devenu le plus à risque au monde à cause du dérèglement climatique. Mais c’est chez eux. C’est une partie d’eux. Tant qu’ils le pourront, ils n’iront pas grossir les bidonvilles des grandes villes plus en retrait dans les terres. Ils vivent cela avec résilience, restent joyeux même dans l’épreuve, et choisissent l’aujourd’hui en comptant les uns sur les autres. Nos deux jeunes mariés non plus ne partiront pas : Leah y a sa famille et ses amis, devenus aussi depuis longtemps ceux de Tristan. Je les comprends.
Même confrontée quotidiennement à la souffrance de tant de personnes ayant été contraintes de fuir leur lieu de vie, étant aussi témoin privilégiée de l’engagement d’évêques et de personnes incroyables de générosité dans tous les pays du globe, c’est l’espérance qui toujours est plus forte en moi, la fierté pour la force de la solidarité en Eglise et l’émerveillement devant la grâce de Dieu à l’œuvre en eux. Je confesse pourtant ma difficulté face au thème du climat et de la détérioration de l’environnement, même dans la prière : une sorte d’angoisse me tient aux entrailles pensant au grand scandale de la destruction de la Création en cours, déjà par maints aspects, irréversible et, avec elle, le danger pour l’homme. 
Comment réussir à intégrer cette urgence et à convertir nos modes de vie personnels et communautaires ? Comment croire que je peux à mon niveau contribuer réellement à un changement ? Comment faire comprendre à mes sœurs que je n’arrive plus à manger le poisson dont je sais qu’il a été pêché par ces gigantesques filets traînés qui ravagent l’océan à grande échelle par des entreprises qui exploitent sans impunité les personnes ? Comment continuer à vivre en ville alors que, les années passant, tout en moi tendrait à la quitter pour retrouver la nature et contribuer à un retour à nos belles campagnes désertées ?
Comme le développe si bien l’Encyclique Laudato Si’, ce ne peut qu’être que par une profonde conversion qui permet ce mouvement intérieur de décentrement de soi vers l’Autre et vers les autres, décentrement qui nous permet aussi de nous comprendre comme faisant partie de la création, dépendants d’elle et redevable vis-à-vis d’elle.
Les psaumes et la liturgie m’aident beaucoup : le Créateur et la création y sont partout dans les textes et dans la célébration elle-même. Je m’appuie aussi sur l’exemple d’amis sûrs qui eux ont réussi, dans la paix, à unir intérieurement et en actes, la prière et le travail pour une conversion climatique. Je pense à un collègue salésien, l’expert du Dicastère sur la crise climatique dont la famille est au Kerala en Inde, zone touchée bien plus directement et massivement que Siargao en ces années. Ou encore au P. Pierre Teilhard de Chardin qui cherche et contemple Dieu dans la matière et dans l’histoire du monde.
Je laisse le Seigneur me donner à la ville où il m’a placée, en vivant ici pour les hommes et les femmes qui y sont par choix ou par obligation. Et en étant créative, saisissant toutes les occasions qui se présentent comme la transformation du terrain vague et honteusement sale devant le portail de notre fraternité en petit jardin soigné, offert aux pèlerins et aux passants dans l’esprit de l’Evangelii Gaudium 210. En essayant une vraie conversion personnelle dans mon usage des choses et dans ma propre consommation d’électricité, d’eau et d’un peu tout, pour mieux vivre mon vœu de sobriété de vie.
Et surtout, en demandant au Seigneur son pardon pour toutes mes incohérences et son aide pour moi, pour ma fraternité, pour mon pays, pour nous tous. L’engagement est ardu, mais la distance entre ce que nous sommes et ce que nous devrions être, pour nous chrétiens, a un nom : Jésus Crucifié et Ressuscité. Il est le Seigneur de l’Histoire. Son Esprit Saint – c’est la grande certitude – est plus fort que nous ! Et comme Tristan, je crois aux miracles !

Soeur Josepha de la fraternité de Rome