Magdala, « notre » maison en Sologne, ce lieu de désert et d’accueil, est dédié à Marie-Madeleine grâce à
notre frère Louis, à sa chère Magdou et à l’indicible Providence… La discrète présence de la sainte, à
travers deux statues d’une myrophore, laisse voir – à qui veut voir – un geste qui vient de plus loin qu’une
pieuse bonté de l’époque. Nous confie-t-elle une mission ? Nous y reviendrons à la fin. Le Cantique de
cantiques nous guidera. C’est celui de Marie-Madeleine, mais il est court. Nous pouvons continuer à
l’écrire. Entendre l’un et chanter l’autre, le nôtre.

La stigmatisée
Aux spécialistes les détails. Qui cherche trouve, mais reconnaissons humblement que nous connaissons
mal Marie de Magdala. Une figure chargée de grâces, mais aussi de légendes, fantasmes et
surinterprétations cherchant à combler le vide laissé par l’Évangile. La sainte, la prostituée, l’élégante
mondaine, la femme érotisée, la femme fatale, la mystique… Tant de visages contradictoires… Entre le
VIe et le XVIe s. s’installe en Occident une tradition sans fondement, qui identifie Marie de Magdala,
« de laquelle Jésus châsse sept démons » (Mc 16,9 ; Lc 8,2), à la prostituée (Lc 7,36-50) et à la pure
Marie de Béthanie (Jn 12, 1-8). Cette tradition ne sera jamais adoptée en Orient, ni par nos frères
protestants. La plupart des exégètes d’aujourd’hui refusent l’amalgame de trois figures et le démontrent
avec des arguments solides. Notre Marie n’est sans doute ni la prostituée, ni la malade mentale, ni la
possédée, telle que l’on s’est plu à l’imaginer. Mais les traces de l’erreur sont bien imprimées dans l’art,
l’imaginaire du grand public est encore dans la tête de bien des catholiques… Voici que « le disciple n’est
pas plus grand que son maître. Si les gens ont traité de Béelzéboul le maître de maison, ce sera bien pire
pour ceux de sa maison » (Mt 10, 24-25).

La Magdaléenne
Marie de Magdala, Maria hê Magdalênê (Mt 27,56.61 ; Mc 15,40, etc.) Luc seul dira Marie appelée
Magdaléenne (8,2). En araméen megaddela signifie entre autres la grande, la bien considérée,
l’exaltée. Magdela ou migdela, toujours en araméen, signifie tour. C’est pourquoi Saint Jérôme
appellera Marie celle qui a une tour ou la gardienne de la tour, car elle était seule à être sûre d’avoir
vu le Ressuscité.
Magdala était située en Galilée, sur la rive occidentale du lac de Tibériade (ou Génézareth ou
Kinneret). C’est probablement là, que Marie a connu l’étreinte de sept démons. Notons au passage,
que dans le NT, les démons sont assimilés à des maladies. Luc raconte la guérison de la belle-mère de
Simon (4,39) et de la femme courbée (13,16) en empruntant les termes de l’exorcisme. Pour comprendre
que les sept démons (forte emprise) sont en rapport avec le domaine de la santé, les spécialistes nous
renvoient aux conceptions médicales de l’époque de Jésus. Le cas de Marie de Magdala était très grave.
Les démons ont roulé une lourde pierre sur son cœur en faisant d’elle une tombe, une aliénée. « Les
gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville. Ils m’ont frappée, ils m’ont blessée, ils m’ont
enlevé mon manteau, ceux qui gardent les remparts » (Ct 5,7). Mais Jésus, va la délivrer, la « draper du
manteau de la justice », la réintégrer dans la communauté et lui confier une mission inédite, celle de
l’apôtre des Apôtres.

La disciple
« Entraîne-moi sur tes pas, courons ! Le roi m’a introduite en ses appartements ; tu seras notre joie et
notre allégresse. Nous célébrerons tes amours plus que le vin ; comme on a raison de t’aimer ! » (Ct 4,1).
Aux côtés du groupe des Douze, il y a un groupe de femmes, qui accompagnent Jésus depuis la Galilée
(Lc 8,1-3 ; Mt 27,55 ; Mc 15, 40-41). Si suivre Jésus pour les hommes s’est fondé sur l’appel, pour les
femmes, Le suivre a sa source dans leurs guérisons. Marie-Madeleine et ses compagnes sont-elles les
disciples ? Sans doute, mais sans bruit, ni titre. Les missions ne sont pas les mêmes. Les femmes en tout
cas, ont le sens du jusqu’au bout du disciple. Au cours de la Passion, à la différence des hommes qui
s’enfuient (sauf Jean), elles accompagnent leur Maître jusqu’à l’insupportable de la croix et du tombeau.
Le shabbat fini, il fait encore nuit, quand Marie revient au tombeau. Une disciple accomplie, elle nous dit
ainsi, comment entendre notre propre nom de la bouche du Verbe au milieu des Écritures, des
événements, qui s’accomplissent. « Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai
cherché, mais ne l’ai point trouvé ! Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les
places, je chercherai celui que mon cœur aime » (Ct 3,1-2).

La myrrophore
Oui, telle l’amante du Cantique, hors d’elle-même, elle vient embaumer le corps mort du Seigneur Bien-
Aimé. Mais au lieu d’un mort, elle voit le Vivant. « Toi qui habites les jardins, mes compagnons prêtent
l’oreille à ta voix : daigne me la faire entendre ! » (Ct 8,13). « Marie ! … Rabbouni … Ne me retiens pas,
mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre
Dieu » (Jn 20,16-17). Elle s’ouvre donc à un nouveau mode de présence à la Présence, à un amour large
et oblatif. « Fuis, mon bien-aimé, Sois semblable à une gazelle, à un jeune faon, sur les montagnes
embaumées ! » (Ct 8,14). Depuis, elle embaume son Corps Total, Mystique. Myrophore à jamais.
Myrophore en ceux qui discernent le Corps du Seigneur derrière toute plaie, meurtrissure, enlèvement …
Est-ce là la mission pascale de Magdala ? Être soucieuse de l’Amour sans lequel tout ordre est triste et
nourriture fade. Donner à l’autre une place et une miséricorde sans jugement, toute d’accueil, de prière,
d’écoute et de tendresse … Afin que s’accomplisse la promesse du Cantique : « Qui est celle-ci qui monte
du désert, appuyée sur son Bien-Aimé ? » (Ct 8,5).

soeur Mariam de la fraternité de Magdala