De prime abord, au-delà du relief grandiose qui entoure l’Assekrem, on croit être devant un paysage lunaire où il n’y a que des pierres – et le vent et le froid implacables. Mais j’allais découvrir que ce paysage est rempli de vie. Beaucoup de ces pierres sont des phonolithes, qui émettent un son musical quand on les heurte.

À l’ombre des pierres, là où il y a un minimum d’humidité, poussent beaucoup de petites plantes ; j’ai compté une vingtaine d’espèces.
Que mangent ces oiseaux ? Les moula-moula noirs avec leur chapeau blanc et puis les « alouettes » qui sont si peu farouches qu’elles acceptent d’entrer dans l’ermitage pour picorer des miettes de pain. Comment vivent les ânes sauvages, seuls au milieu de nulle part ? Le plus impressionnant, c’était le berger et son troupeau de chèvres, qui sont montés sur le plateau d’un côté, l’ont traversé en ligne droite et sont redescendus de l’autre côté, toujours en ligne droite, dans l’immensité du désert.

Mais ce qui m’a le plus marqué pendant tout ce voyage, parce que c’était le plus inattendu, c’était les rencontres humaines. Je croyais partir pour un temps très attendu de solitude sur « une montagne sainte », un cœur à cœur profond avec Dieu dans l’ermitage où notre communauté est née. Mais Dieu avait prévu autre chose.

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Alors que j’avais expliqué que j’allais à l’Assekrem pour un séjour de quarante jours, l’ambassade d’Algérie à Paris m’a accordé un visa pour trente jours seulement, en disant qu’il faudrait redescendre à Tamanrasset pour le faire renouveler. J’étais extrêmement déçu : je serais obligé d’interrompre cette solitude bénie pour passer quelques jours dans une ville ! Mais la vraie bénédiction a été les personnes rencontrées pendant les déplacements : un jeune Kabyle à Alger qui a proposé spontanément de me faire découvrir la Casbah ; les Petites Sœurs de l’Évangile, qui ont tout fait pour faciliter le séjour et les démarches administratives ; les jeunes gens qui géraient le camping de Tamanrasset, tellement amicaux et chaleureux, mais qui faisaient peut-être des rapports à la police ; quelques personnages au camping hauts en couleur ; un policier tout étonné et touché quand je lui ai dit « merci » en arabe ; un serveur dans un restaurant qui, me reconnaissant après une absence de quelques semaines, explique confidentiellement que le bifteck « c’est du chameau » ; le chauffeur touarègue qui cache poliment le bas de son visage avec le bout de son chèche parce qu’il allait croiser un ami venant dans l’autre sens. Et tant d’autres expériences humaines – parce que j’ai dû quitter l’ermitage sur la montagne. 

Pour Charles de Foucauld aussi, le désert a été non seulement le lieu de la rencontre seul à seul avec Dieu, mais le lieu de la fraternité.

Frère Bradford (Fraternité de Montréal)