Cette icône a pour modèle une tablette de Novgorod (XVIe siècle) dont l’inscription en slavon signifie le fait de vérifier. Les titres grecs indiquent même le geste de palper, toucher le flanc du Christ pour le reconnaître. On regrettera l’inadéquation des termes français correspondants…. et l’interprétation qui fait de notre apôtre le modèle des gens résolument sceptiques ! Saint Thomas fut très tôt célébré pour sa fidélité aux frères durant l’épreuve de sa foi et pour sa reconnaissance de la nature divine de Jésus. Cette scène de l’Évangile de Jean figure sur des sarcophages et des ivoires anciens, et se déploie sur les mosaïques, fresques et icônes, avec peu de variantes. L’art roman, si proche de l’art byzantin, en livre un magnifique témoignage de pierre à Silos (Espagne, XIIe siècle) en inscrivant en latin « un des Douze » dans l’auréole du saint.
« Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Le Dimanche de Thomas clôt l’octave pascale appelée en Orient « Semaine Lumineuse ». Cette image, présentée à la vénération des fidèles, est en parfaite harmonie avec la liturgie de la fête qui chante et exalte chaque détail de la scène évangélique.
La composition en est simple, dominée par la verticale du milieu (ligne de la transcendance) où s’inscrit le Christ ressuscité, devant la porte close. De chaque côté sont groupés les apôtres observant Thomas, courbé, qui touche la plaie offerte à son examen.
Selon l’usage, le voile rouge en haut signifie que l’événement se passe à l’intérieur. Les lignes et les couleurs jouent un rôle important pour faire entrer dans le mystère infini ouvert par cette apparition. Le Ressuscité n’est pas ici revêtu de blanc éblouissant, mais du manteau bleu et de la tunique rouge du Pantocrator. Il ne siège pas sur le trône mais se tient debout, vivant, sur un piédestal car Il a vaincu la mort ! Derrière lui, la porte fermée scintille de traits d’or : « Malgré les scellés posés sur le tombeau, Tu surgis, ô Christ, et malgré les portes fermées, Tu T’es manifesté â Tes disciples, Universelle Résurrection… »
Sous le bras du Christ qui relève sa tunique, Thomas s’incline profondément. Voici les traces du supplice enduré par le Maître seul, la plaie d’où jaillirent l’eau et le sang. Le Jumeau, déterminé naguère à suivre Jésus jusqu’au bout, obéit et tend un index intentionnellement grossi par l’iconographe. Fléchissant les genoux, Thomas proclame ou peut-être murmure : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » L’Église-Épouse du Christ, bâtie, née de Lui, comme Ève fut tirée du côté d’Adam, ne cessera plus de reprendre ce cri d’adoration, chantant aux vêpres : « Merveille inouïe ! Le manque de foi rend plus ferme la foi ! »
L’ardent Thomas est enveloppé d’un manteau rouge vif qui flamboie, la courbe saisissante de son dos rappelle celle de la prosternation des anges au Baptême. Tel est ce mouvement de révérence qu’il semble avoir gagné le mur là-haut, sous les palmes, à la façon d’un encensoir ! Dans un de ses ultimes cours de dessin, le Père E. Sendler disait, en traçant cette courbe, qu’elle représente la condition humaine s’élevant de la matière vers l’Esprit, que tout homme est appelé à rencontrer au plus près et à reconnaître le cœur transpercé du Sauveur (au centre de cette icône). Cette réflexion rejoint sans doute l’intuition qui fit donner récemment en notre Église le nom de Dimanche de la Miséricorde à ce deuxième dimanche pascal.
Aux antithèses, riches de sens et de poésie, familières au chant liturgique fait écho la représentation simultanée d’épisodes contrastés. Ainsi pouvons-nous contempler à la fois le dos ployé de Thomas près de toucher terre, son visage tendu vers le Christ, et ses pieds qui déjà esquissent une danse. Ne dirait-on pas plutôt un bond d’exultation, avec la légèreté de l’Ange surgissant près de la Toute Pure ?
Le temps est venu de suivre la ligne invisible du regard du Seigneur qui ne s’attarde pas sur Thomas, mais se porte au-delà, pour inviter les Douze, ses messagers, à répandre la Bonne Nouvelle jusqu’au bout du monde, à temps et à contretemps. Il embrasse l’univers entier en attente, car sa vie donnée sur la Croix, le Fils de Dieu l’a livrée pour tous, intarissable fleuve de Vie éternelle, et comme il lui tarde qu’elle réveille les cœurs ! Marana tha ! Viens, Seigneur Jésus !
Jeannette Zupan, amie de la Fraternité de Paris