Le “miroir” de l’unité vécu au travers du Jeudi Saint et du mystère pascal

Dans les liturgies du Jeudi Saint, l’Église fait mémoire de manière particulière de l’institution de l’Eucharistie et du ministère sacerdotal, c’est-à-dire du don que le Christ a fait à tous les croyants de pouvoir être unis à Lui par le moyen de la communion eucharistique et, en même temps, de pouvoir être unis les uns aux autres, en formant un seul Corps mystique. Aussi pour nous frères et sœurs des Fraternités Monastiques de Jérusalem, cela est un fort appel à l’unité : unité entre les membres, unité entre frères et sœurs, unité entre moines et citadins, unité entre les différentes Églises chrétiennes. Pour cette raison, ce que nous vivons pendant la liturgie à travers le chant assume un caractère d’« actualisation » de ce que le Christ a vécu avec ses disciples et a désiré pour toute l’humanité. De plus, l’attention que nous voulons garder pour le dialogue œcuménique, dans ce contexte particulier, se traduit aussi dans le choix de chants de différentes traditions ecclésiales (byzantine et protestante). C’est à travers cinq chants en particulier (l’Hymne à la charité et À ta mystique et sainte Cène, dans la Messe In Coena Domini, et Jean 17, les Litanies de la nuit et le Psaume 21, dans l’Office de la nuit) qu’il est possible d’entrevoir aussi un parcours théologique, qui se révèle en son ensemble dans les liturgies du Jeudi Saint et que l’on est amené en sens inverse au cours du Triduum pascal, jusqu’à qu’il soit accompli à la Pentecôte. Il en résulte un itinéraire de descente/montée typiquement pascal.

L’Hymne à la charité, tiré directement de 1 Corinthiens 13,1-8, invite celui qui chante aussi bien que celui qui écoute à ne pas négliger l’union avec les frères, par des sentiments de charité authentique. Le commandement de l’amour est la Loi nouvelle que Jésus a laissé en héritage à ses disciples et qui s’explicite dans le service et dans l’attention à l’autre. En détaillant ce qu’est la vraie charité, le texte paulinien nous fait comprendre quelles sont les dispositions du cœur à avoir pour vivre vraiment en enfants de Dieu et sur ces paroles, chacun a une opportunité aisée pour s’examiner.

Après avoir expérimenté dans le « geste du serviteur » (le lavement des mains, qui dans notre liturgie prend la place du lavement des pieds et qui est proposé à chaque fidèle de l’assemblée) le service plein d’amour dont nous sommes l’objet de la part du Seigneur Jésus, chacun peut exprimer par le chant À ta mystique et sainte Cène [donne-moi de participer] le désir d’être profondément uni à Lui et d’être toujours nourri de cet amour, pour en devenir à son tour dispensateur envers les frères. Comme le larron repenti, chacun peut reconnaître sa propre indignité face au Seigneur, dûe aux manques de charité et au cœur fermé, mais peut aussi, en même temps, proclamer l’infinie miséricorde de Dieu et son pardon.

L’union intime avec Jésus qui nous vient de la communion eucharistique nous plonge directement à l’intérieur d’une autre réalité de l’unité : l’unité trinitaire et, plus spécifiquement, dans la relation entre le Fils et le Père. Ainsi, dans le chant du chapitre 17 de l’Évangile de Jean (Jean 17), la prière de Jésus nous introduit, au-delà du temps et de l’espace, à contempler ce mystère de communion dont il nous est donné de participer grâce à la volonté de Dieu, selon un projet existant dès « avant la fondation du monde » (cf. Jn 17,24). 
De cette familiarité avec Dieu, le premier Adam en avait déjà fait l’expérience dans le jardin d’Éden, quitte à rompre ensuite cette relation à cause de sa désobéissance. Par conséquent, il en est dérivé aussi une rupture au niveau des relations entre les hommes et entre l’homme et la création, signifiée par la longue litanie de l’Office de la nuit
« Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort » (Rm 5,12). Labîme qui s’est créé entre Dieu et l’homme devait donc être comblé, mais pour cela il fallait que le Nouvel Adam descendît jusqu’au fond de cet abîme, pour récupérer ce qui ne pouvait être perdu (cf. Jn 6,39).
Le chant du Psaume 21(22) dessine bien cette kenosis du Fils de Dieu et aussi la confiance dans le salut divin.

À ta mystique et sainte Cène

par Fraternités Monastiques de Jérusalem | Lauda Jerusalem

https://www.youtube.com/watch?v=YSIoEvZ4BoE

Au mouvement de descente, que chaque fidèle et l’Église toute entière sont invités à accomplir avec le Christ dans les liturgies du Jeudi Saint, suit un autre mouvement en sens inverse et en miroir, qui définit tout le mystère pascal : par la mort sur la croix le Vendredi Saint, vécue dans l’obéissance au Père, Jésus comble la distance infinie entre l’humanité et Dieu, due à la désobéissance d’Adam, et rend à l’homme la vie. En descendant jusqu’aux enfers, Jésus soulève Adam et le fait sortir de la prison de la mort, en rétablissant aussi, de telle manière, l’unité entre les hommes, comme l’atteste encore saint Paul, en parlant des païens et des circoncis : « Or voici qu’à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ » (Eph 2,13). Après la résurrection, le Christ continue parmi les siens cette œuvre de réconciliation et d’exhortation à rester unis et fermes dans la foi, jusqu’à la promesse de l’Esprit Saint, avant d’être élevé dans sa gloire, en une union avec le Père rénovée. Le jour de Pentecôte, par le don de l’Esprit, dans le cœur des disciples – donc, dans le cœur de l’Église de tous les temps – s’établit une perpétuelle union avec Jésus, qui se rend présent à eux « pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Cette union est une véritable inhabitation et c’est ce qui rend possible un lien authentiquement fraternel entre les hommes. « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Gal 2,20), donc c’est le Christ lui-même qui aime les frères à travers nous. L’unité avec les frères se réalise alors par l’œuvre de l’Esprit Saint, l’Amour de Dieu.

Soeur Petra de la fraternité de Rome