J’ai passé sept ans de ma vie dans le quartier Saint-Sauveur de Québec, rue Saint-Luc. Pour aller faire mes courses, rue Saint-Vallier, je croisais les rues Saint-Matthias, Saint-Léon et Saint-Benoît. Le dimanche, je me promenais allégrement sur les rives de la Saint-Charles, direction Quartier Saint-Roch, la nouvelle « place to be » de la ville. Cette litanie des saints municipale est sans doute une spécialité québécoise mais, mine de rien, cela faisait bourgeonner une réflexion dans mon cœur : la sainteté dans les villes est-elle uniquement l’affaire des panneaux ?
Il y a des citadins qui choisissent consciemment la sainteté, qui égrainent leur chapelet dans le métro, qui lèvent des deux bras de la louange et de l’intercession, qui prient, veillent, habitent, s’engagent au cœur de la ville au nom de leur foi. Mais il y a tant d’autres citadins qui y vivent une sorte de sainteté cachée, un chemin qui les sanctifie sans qu’ils le sachent. Je pense à Bernhard, qui vit dans la rue, en bas de chez nous. Un matin, alors que ses maigres possessions avaient disparu pendant la nuit, il a dit dans un abandon un peu désinvolte : « ce n’est pas la première fois : je retrouverai tout ce dont j’ai besoin ». Ou à Gabi qui aime les longs trajets silencieux en train pour venir au travail avant que le soleil ne se lève. Jamais elle n’oserait appeler cela prière, mais quand la croyante que je suis l’entend parler, je suis touchée par la profondeur de sa contemplation. Je pense à Herr Schmidt, atteint de démence, qui se rappelait avec joie le va-et-vient constant des foules sur la place en bas de chez lui, la vie qui circulait, la joie de vivre ensemble, que nos cités rendent possible.
Je pense à toutes ces personnes sur les berges du Rhin, dans les parcs, sur les terrasses, qui font semblant de lire ou de boire un café, mais qui au fond sont venues pour observer ce fourmillement incessant, ces foules anonymes, qui se transforment dès qu’on les regarde, en personnes aussi uniques les unes que les autres, en milliers de visages du Visage de Dieu.
Parfois nos villes portent les traces de leur histoire sainte dans l’architecture, les églises, les noms des places, des rues et des quartiers. Mais – de tout temps, et encore aujourd’hui – il y a une histoire sainte qui s’écrit au cœur de la ville, car Dieu y est présent et nous appelle à le suivre là où nous sommes.
Soeur Pamela de la fraternité de Cologne