Il y a quelques mois, lors d’un jour de désert près de Sienne, en marchant dans un bois, j’ai été arrêté par la couleur du chemin : par endroit affleurait du sable d’un ton cuivré, très beau, typique de cette région. J’oubliai ma promenade, forcé d’admirer cette matière. Je ne savais pas ce que j’allais en faire mais il fallait accepter le cadeau et l’invitation : c’est comme si le sable lui-même m’avait fait signe et me demandait de l’emporter pour… on ne savait quoi, ni lui ni moi. Il resterait dans mon atelier, attendant sagement un autre signe, patient, au milieu des pinceaux et du bazar sans lequel je n’arrive pas à peindre…
Quelques temps plus tard, par le Centre d’art sacré qui m’emploie , arrive la commande d’un chemin de croix pour une église, au Caire. L’Egypte, le désert, le sable… Le beau sable rouge qui m’avait touché quelques mois plus tôt me fait comprendre que c’est son heure, il m’indique le chemin… de croix, et peu à peu je découvre comment lui donner le premier rôle dans la composition des 14 stations. Non, vraiment, ce n’est pas nous qui transformons la matière, c’est elle qui nous transforme. Ou plutôt, c’est sa beauté native, c’est-à-dire, cette trace du doigt de Dieu imprimée en elle. Je pense que c’est pour cela que la matière est une source d’inspiration infinie – et donc de transformation intérieure – c’est qu’elle vibre encore de la voix du Créateur qui l’a suscitée. Elle témoigne, elle a une histoire, souvent vertigineuse : j’ai appris par exemple que l’or, qu’on applique en feuilles fragiles comme de la neige, n’a pu se former que grâce à des cataclysmes cosmiques, des fusions d’étoiles à neutrons… A cette échelle toute transformation humaine de la matière parait bien peu de choses ! …

Comme artiste, je crois, on ne transforme pas, on compose. C’est l’art du bouquet : on met ensemble des choses qui ont déjà par elles-mêmes leur grande beauté et leur message. On apprend à se laisser toucher par les matières et les formes dessinées par la main de Dieu. Et comme pour un bouquet que l’on compose, on le fait surtout pour dire merci.

Dans un monde où la matière est trop exclusivement regardée pour le profit ou l’utilité qu’on peut en tirer, il est bon de temps en temps, de lui laisser chanter son Créateur, gratuitement, et de l’écouter.

Frère Charles-Marie (Fraternité de Florence)