Action de grâce. Mais comment être dans l’action de grâce dans un monde chahuté, extériorisant, dans un monde qui perd peu à peu, secrètement, l’espérance ?
Lanza del Vasto, un homme dont la rencontre aura profondément marqué mon être, écrivait : « Au jour de débandade, lorsque tout croule et flambe, toi seul dans la panique, tiens-toi droit et souris ».
Oui, mais suffit-il d’être stoïque, en quelque sorte ? Non, bien sûr. C’est qu’il faut voir plus loin que l’apparence des choses. Le même Lanza disait : 
« toute la profondeur de l’âme jusqu’à l’infini est joie. » Comme au-delà de son écorce, la terre est feu…
Mais comment découvrir cette profondeur, pour en être brûlé ?
Un autre écrivain, un montagnard : Samivel, m’aura marqué lui aussi par l’expérience qu’il fit un jour. Il cherchait quelque chose, un bonheur longtemps poursuivi dans les dangers de la haute montagne, et puis un beau jour, sur une montagne « à vaches » comme on dit, la montagne de la Cicle – qui veut dire : Passage – cela lui arriva d’un coup, sans l’avoir cherché, la réponse des hauteurs. « Je compris que la sphère des choses dites inanimées obéit aux mêmes lois que celle des êtres vivants, l’univers entier obéit à la même loi qui est que l’on ne possède jamais rien nulle part, et en aucun temps par la violence… Qu’il faut d’abord cesser de désirer égoïstement pour commencer d’obtenir, pour commencer de pénétrer l’essence des choses et des êtres, pour fissurer enfin la prison de verre. »
Cette joie, que l’on peut appeler la joie des pauvres, Maurice Zundel, en était un étonnant prophète, pèlerin sans attaches en ce monde. Il faut citer ici ce cri lancé devant le frère Paul Houix qui lui mendiait quelque prière afin de rester dans l’humilité : « Non, dans la joie ! On cesse de se regarder. » 
Secret d’une joie qui est Pascale. « À l’homme dépossédé de tout, Dieu offre sa joie, la joie du Pauvre rendu transparent au Soleil intérieur qui le consume ! la joie du Ressuscité au matin de Pâques ! »
Depuis l’Ascension, on pourrait être tenté de chercher Jésus là où il n’est pas : ailleurs. Mais, comme le dit si bien le Père Durrwell : « Par la puissance de l’Esprit Saint, Dieu (le Père) glorifie le Christ et en fait la substance profonde du monde. »
Le Seigneur ne vient pas vers nous du dehors, il est désormais en plénitude celui en qui et vers qui tout est créé. Lui, principe et fin, l’avenir du monde, il vient en nous attirant à lui.

En chaque Eucharistie se joue le grand exode de notre vie : passage du dehors au-dedans, jusqu’au décollement de soi, vers la joie ultime.
Action de grâce.

Frère Bernard-Marie, de la Fraternité du Mont-Saint-Michel