Depuis l’Antiquité chrétienne, c’est au cours de la longue veillée pascale qui relie le Samedi Saint au dimanche de Pâques, que les catéchumènes adultes reçoivent les trois sacrements de l’initiation chrétienne : le baptême et la confirmation (comme on le sait, non renouvelables) et, pour la première fois, l’eucharistie, première des communions qui accompagneront toute leur existence. Ils ont participé à la Pâque du Christ, qui est mort et résurrection ; ils ont reçu le Saint Esprit ; ils naissent à une vie nouvelle, vie d’enfants adoptifs du Père dans le Fils unique. Et après ce grand jour, que se passe-t-il pour eux ? Comment l’Église qui les a enfantés à cette vie nouvelle, accompagne-t-elle leurs premiers pas ?

La semaine qui suit le dimanche de Pâques est appelée dans la tradition liturgique « semaine in albis », c’est-à-dire « en vêtements blancs ». Et cela parce que les « néophytes », autrement dit les nouveaux baptisés (néophyte signifie « nouvelle plante ») sont invités à participer aux liturgies en revêtant la robe baptismale. Il s’agit du vêtement blanc dont le nouveau baptisé est revêtu aussitôt après la célébration du baptême : signe de sa dignité nouvelle d’enfant de Dieu, lavé de ses péchés par le sang de l’Agneau, signe de la vie nouvelle qui est en lui et s’épanouira sans discontinuité dans la vie éternelle.

À Saint-Gervais, les néophytes sont donc invités à participer à tous les offices, revêtus de la robe baptismale, et cela dans le chœur de l’église, mêlés aux frères et sœurs de la communauté monastique. Ainsi se trouve signifié l’accueil de la communauté ecclésiale. Car les nouveaux baptisés, comme des nouveau-nés (les « renés ») ont besoin d’être entourés par la vigilance maternelle de l’Église. Depuis le début de leur cheminement, le soutien de la communauté ecclésiale leur a déjà été manifesté par les rites des étapes successives du baptême : célébration (peu après leur arrivée) de l’ « entrée en catéchuménat », puis, au cours du carême qui précède leur baptême, des quatre étapes ou «scrutins», elles-mêmes précédées par l’ « appel décisif » des catéchumènes par l’évêque. Ainsi prier au milieu des frères et sœurs consacrés qui, tout au long de leur démarche, les ont portés dans la prière, est un signe très fort pour les néophytes. Ils se sentent épaulés, soutenus. En partageant avec les frères et sœurs consacrés et toute l’assemblée qui les entoure, la louange, l’action de grâces, l’adoration silencieuse, en participant aux chants liturgiques, ils sentent physiquement que désormais ils sont pleinement membres du Corps du Christ qu’est l’Église et participants à sa mission.

Longtemps avant leur baptême, et parfois dès les premiers pas de leur démarche, ils ont attendu et désiré de pouvoir recevoir l’eucharistie. Et voilà que, enfin, cela leur est donné, et donné en surabondance puisqu’ils sont appelés à renouveler fréquemment ce geste sacramentel. C’est pour eux le commencement d’une relation nouvelle avec le Seigneur, qui se continuera tout e long de leur vie. Il est important que ce « commencement » se vive dans le cercle des frères et sœurs, car cela les aide à mieux percevoir le don que Dieu leur fait.

Pour autant, tout ne baigne pas dans l’euphorie et la facilité. Certains des néophytes – peut-être faudrait-il dire : la plupart connaissent après leur baptême un dur combat spirituel. Car la transformation opérée par le baptême est une réalité qui relève de la foi, elle n’est pas perçue généralement de manière sensible, et elle donnera ses effets dans le long terme. La tentation se présente alors parfois de penser qu’après tout rien ne s’est passé, que ce n’était qu’un beau rêve, une parenthèse à refermer pour revenir à la vie réelle. Ici encore, il est important qu’ils soient soutenus visiblement par la communauté ; ils trouvent là la force de mener ce combat et d’en sortir victorieux, plus forts et plus joyeux.

La semaine se termine avec le deuxième dimanche de Pâques, appelé « dimanche in albis ». Ce jour-là, l’évêque rassemble autour de lui tous les néophytes du diocèse, revêtus cette fois encore de la robe blanche de leur baptême. Il les réunit en une messe « d’envoi » ; il les lance au grand large hors de ce qui était à certains égards le « cocon » du catéchuménat ; il les lance dans la vie chrétienne adulte, dans la grande communauté ecclésiale et dans les tempêtes du « monde ». Il les envoie porter à tous leurs frères, chrétiens et non chrétiens, le témoignage de ce que Dieu a fait pour eux et en eux. « Il fait entendre les sourds et parler les muets. »

Ce n’est pas un hasard si les baptêmes d’adultes sont célébrés dans la nuit de Pâques, puisqu’il s’agit bien pour eux de revivre le mystère de la Pâque du Christ ; mais aussi le temps pascal – temps de grâce, de joie, de vie, temps où l’Église attend et reçoit l’effusion de l’Esprit – est un temps privilégié pour faire l’apprentissage de la vie chrétienne. La préparation au baptême a duré longtemps (en moyenne deux ans). Les catéchumènes ont eu tout ce temps pour prier et réfléchir sur ce qu’était la vie chrétienne. Maintenant le moment est venu d’en faire l’expérience vitale. Les perspectives sont vastes, exaltantes, mais on comprend que souvent des difficultés se présentent, des questions se posent.

Il faut d’abord mettre en place – et c’est entièrement nouveau – la pratique régulière d’une vie sacramentelle. Même si le catéchumène a généralement commencé à participer régulièrement à la messe, il peut recevoir maintenant fréquemment l’eucharistie ; il découvre combien cette nourriture est essentielle pour faire grandir sa vie d’enfant de Dieu. Il trouve son rythme pour recevoir en temps opportun le sacrement de réconciliation. Pour tout cela, il a souvent besoin de l’aide fraternelle d’autres chrétiens.

La vie de prière a été inaugurée – et fréquemment elle avait déjà commencé antérieurement – dès le temps du catéchuménat.

La nouveauté ici consiste à passer de l’enthousiasme des débuts à la persévérance d’un engagement durable. À chacun – non sans aide là aussi – d’inventer son « régime » personnel, compte-tenu de son état de vie, de ses responsabilités familiales et professionnelles, de son tempérament propre, en un mot de sa « vocation » unique et irremplaçable.

Le néophyte est enfin appelé à construire une vie en Église, à s’insérer dans une communauté ecclésiale concrète. Cela suppose qu’il a appris à accepter (le temps du catéchuménat l’y a bien sûr préparé) le fait même de la communauté chrétienne, avec ses beautés et ses limites. Cela implique qu’il parvient à y trouver les appuis nécessaires : un lieu de partage avec d’autres chrétiens pour s’y ressourcer ; c’est indispensable. Il importe qu’il y découvre finalement sa propre place et qu’il puisse y assumer, selon ses possibilités, telle ou telle responsabilité.

Pour tout cela, le rôle décisif revient à un personnage dont nous n’avons pas encore parlé : le parrain ou la marraine. Il est entré en scène dans les dernières semaines du catéchuménat au plus tard, pour accompagner le catéchumène au long du carême et jusqu’au baptême. C’est lui maintenant qui doit porter avec le néophyte les joies et les difficultés de l’ « après-baptême ». Il l’entoure de sa prière, le fortifie, l’éclaire dans des échanges fraternels, l’aide à faire les choix et à prendre les décisions nécessaires. Il est au cœur de ce temps de maturation de la foi et de la vie chrétiennes. 

Ce cheminement, s’il est souvent joyeux et plein d’espérance, ne va pas sans quelques difficultés qu’il faut affronter et dépasser.

Après la chaude atmosphère du catéchuménat – à la fois la sollicitude « maternelle » des accompagnateurs et la fraternité croissante entre les catéchumènes eux-mêmes ; après l’expérience exaltante de la célébration solennelle dans la nuit pascale des sacrements de l’initiation chrétienne, suivie du temps de grâce de la « semaine in albis », il n’est pas rare que le néophyte éprouve un sentiment de solitude, voire d’abandon. Il lui faut faire face à tous ces changements que la « vie nouvelle » introduit dans sa vie. La communauté dans laquelle il a commencé à s’insérer, même si elle est vivante et accueillante, ne lui est pas encore suffisamment familière, ou n’est pas encore suffisamment attentive à ses attentes et ses questionnements. Nécessairement, il s’interroge sur ce qu’il vient de vivre depuis quelques semaines : quel bilan ?

À cela s’ajoutent les diverses facettes du combat spirituel, encore alourdi sans doute par les tentations. Le néophyte doit, au jour le jour et parfois dans le brouillard, mettre sa vie en accord avec sa foi. Il traverse des périodes de doute, parfois de sécheresse dans la prière. Et au milieu de tout cela, sa tâche est de continuer à se convertir, à se retourner sans cesse vers Dieu.

Mais après tout, en faisant cela, il ne fait que commencer à vivre une vie chrétienne « normale », traversée de joies et d’épreuves. Pour lui, comme pour tout chrétien, la difficulté est de durer. Déjà la durée de préparation au baptême lui a permis de mesurer la valeur du temps et de vérifier la solidité de sa réponse à l’appel de Dieu. Il faut que cette réponse continue tout au long de sa vie terrestre !

La communauté ecclésiale a porté dans la prière et dans l’amour fraternel la démarche des catéchumènes. Mais elle attend beaucoup des néophytes. Elle en attend d’abord le choc salutaire de leur dynamisme, de leur enthousiasme, de leur joie de convertis. Elle attend d’eux le témoignage des merveilles que l’Esprit Saint a faites en eux. Elle doit accueillir de leur part – même si cela peut être à l’occasion dérangeant – un regard neuf qui va bousculer un peu les routines et aider à éclairer les chemins que l’Esprit veut pour son Église. Ne l’oublions pas, les néophytes sont l’avenir de l’Église !

Claude et Colette Savart, amis de la Fraternité de Paris 

In memoriam – Claude Savart, diacre permanent, a rejoint la Maison du Père le 24 mars dernier. Né en 1930, Claude Savart était marié avec Colette, et père de quatre enfants, grand-père de onze petits-enfants, et arrière-grand père de cinq. Proche de nos Fraternités, il était entré dans les Fraternités laïques de Jérusalem (devenues Fraternités Evangéliques), avec son épouse, au début des années 1980. Ordonné diacre en mars 1988, il était rattaché à notre église Saint-Gervais-Saint-Protais où il prêchait régulièrement, nous partageant également sa passion pour l’Histoire de l’Eglise. Il fut responsable du catéchuménat pendant de nombreuses années.
Nous avons ici reproduit un article paru dans la revue Sources Vives n° 109, d’avril 2003.