Varsovie, ND de Jérusalem, vendredi, 17h30…
Je suis là, à l’oraison du soir. Depuis quelques minutes l’espresso puissant ravive mes veines ; de même le torrent de voitures ravive les rues de Trasa Łazienkowska et Wisłostrada.
Ce temps m’est donné, 30 minutes pour tout perdre, pour tout recevoir. Cet espace de notre église m’est donné pour revenir, après un jour de travail, vers moi-même.
Tout ce que je perçois m’est donné. La myopie légère m’est donnée pour prendre du temps avant de constater que les choses sont parfois différentes de la manière dont je les vois. L’étole m’est donnée pour présider l’Eucharistie de ce soir. La coule blanche m’est donnée pour célébrer dans le sanctuaire le mystère pascal de mon baptême.
Plus encore – l’habit monastique m’est donné comme un défi infini. Même mes vêtements me sont donnés. Il m’est même donné de transformer l’usage habituel des semelles de mes sandales en les tenant maintenant vers le haut en m’agenouillant (un usage qui ne leur a assurément pas été prévu par leur concepteur).
La fatigue m’est donnée, je suis épuisé par le travail d’aujourd’hui qui, au préalable, m’a aussi été. Ce corps faible et relâché que voici agenouillé m’est donné. Au sommet de ce corps, ma tête pleine de pensées qui, elles-aussi, me sont données ; peut-être d’ailleurs pour les lâcher ici, tout de suite, si possible.
Certaines pensées me sont données plus profondément : les pensées chargées de la souffrance des personnes que j’ai rencontrées au travail. Leur souffrance n’est plus à elles seules, elle m’est donnée, à moi aussi. Même le cœur vulnérable pour accueillir ces souffrances m’est donné – avec tout le fil des joies et des peines qui l’habitent : une histoire, ainsi que son futur, qui m’est déjà donnée.
En un mot, tout m’est donné, et même “rien” m’est donné aussi. En ce moment précis et à cet endroit, à l’oraison, le “rien” m’est donné davantage.
S’il y a quelque part la pauvreté dans ma vie, elle m’est bien sûr donnée. Surtout la pauvreté ne peut m’être que donnée. La pauvreté m’est surtout donnée.
Démuni de tout, totalement sans rien et avec rien, étant ce rien, et étant moi-même donné, me voici face à tout ce qui m’est donné et face à Celui qui me donne : Dieu, viens à mon aide !
Frère Dariusz de la fraternité de Varsovie