« Il y a un mot de la sainte Écriture dont nous devons, je crois, toujours nous souvenir, c’est que Jérusalem a été reconstruite dans l’angoisse des temps (Dn 9, 25). Les difficultés ne sont pas un état passager à laisser passer comme une bourrasque pour nous mettre au travail quand le temps sera calme ; non, elles sont l’état normal. Il faut compter être toute notre vie, pour toutes les bonnes choses que nous voulons faire, dans l’angoisse des temps. » (Charles de Foucauld, lettre du 1er juin 1908 à Mgr Charles Guérin, vicaire apostolique du Sahara.)
Lorsque nous écoutons l’histoire d’une grande ville ou d’un monastère, nous découvrons souvent qu’ils ont été construits, détruits et reconstruits plusieurs fois. C’est le destin de Jérusalem, mais c’est aussi l’histoire de tout être humain. En effet, la croissance humaine et spirituelle passe régulièrement par des étapes de destructions partielles dues à la rencontre – ou, plutôt, à la confrontation – avec un nouveau défi, de nouvelles circonstances, de nouvelles exigences. Mais nous peinons à en saisir l’aspect positif car, comme le rappelle Charles de Foucauld, cela se passe dans l’angoisse des temps. C’est un temps de détresse parce que les certitudes de la construction précédente n’existent plus et que la solidité de la nouvelle n’apparaît pas encore. Mais c’est précisément cette altérité, apparemment si menaçante, qui nous donne la possibilité de grandir et de mûrir.
Or ces restructurations et reconstructions, nous ne les vivons pas hors du cours de la vie ordinaire, comme si cela se passait dans une parenthèse intemporelle… c’est bien ce qui nous désoriente le plus : continuer à vivre dans une maison en pleine rénovation est inconfortable, gênant.
Notre rapport au temps, appelé lui aussi à se transformer, devient alors décisif.
Réconciliation avec le passé : nous ne pouvons ni changer ni effacer le passé, nous devons en accepter les limites et les échecs. Ceux-ci brisent notre illusion de liberté absolue et nous poussent en même temps à choisir une liberté effective, possible.
Responsabilité de l’avenir : la ville, le bâtiment, reste à l’endroit où il s’est enraciné, mais dans la restauration, dans la reconstruction, les plans, eux, changent souvent : des parties de bâtiments restent mais prennent une nouvelle signification et de nouvelles fonctions. Il est de notre responsabilité de nous tourner vers l’avenir en réponse à la réalité assumée, de dessiner avec réalisme un nouveau projet, une nouvelle carte d’orientation.
Nous sommes donc en mesure de vivre le présent comme un appel à maintenir le passé et l’avenir en tension, dans un dialogue inconfortable, qui peut être source d’inquiétude ou d’angoisse, mais qui est la dynamique même de la vie humaine et la garantie de la recherche de la vérité du Mystère de Dieu.
Nous demandons la grâce de ne pas nous effrayer, de ne pas nous bloquer ou vouloir effacer la tension du présent : dans la mesure seulement où nous intégrons le passé – grâce à une relecture plus complète et riche de significations – l’avenir s’ouvre progressivement devant nous, et nous nous découvrons capables de transformer le présent.
Nous entreprenons alors la reconstruction, forts de la sagesse propre au disciple du Royaume « qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien » (Mt 13,52).
Frère Carlo, de la Fraternité de Florence